Shein, Temu, AliExpress : que contient la loi anti-fast fashion votée par le Sénat ?

Shein, Temu, AliExpress : que contient la loi anti-fast fashion votée par le Sénat ?

Le Sénat vient de voter une proposition de loi visant à encadrer le secteur de la fast fashion. Cette "loi anti-Shein" prévoit notamment une taxe sur les colis, l'interdiction de la publicité et un malus éco-responsable.

Portés par une stratégie marketing offensive et des prix imbattables, les mastodontes chinois Shein, Temu et AliExpress ont réussi à s'imposer durablement sur le marché européen. Bien qu'ils fassent l'objet de vives critiques — ils sont notamment accusés d'encourager la surconsommation, de nuire gravement à l'environnement et d'exploiter les travailleurs dans des conditions de travail indignes —, ces géants du e-commerce rencontrent un succès fulgurant. Et qui n'a pas échappé au Gouvernement français, qui a décidé de durcir le ton.

Car l'industrie textile est une des principales causes des émissions de gaz à effet de serre — elle représente 10 % des émissions de gaz mondiales, devant l'aviation et le transport maritime réunis. Une machine infernale portée par la fast fashion, dont Shein est le fer de lance — mais on peut également citer Cider, Romwe ou encore Zaful —, qui brasse pas moins de 3,3 milliards de vêtements par an en France. Pour se rendre compte de l'énormité de cette consommation, il faut garder en tête que l'entreprise chinoise met à disposition sur son site Web 7 220 nouvelles références par jour en moyenne, selon une analyse réalisée par l'AFP du 22 mai au 5 juin. À titre de comparaison, H&M, pourtant un acteur bien installé du secteur et très loin d'être irréprochable, se "contente" de 290 nouvelles références quotidiennes dans la catégorie "vêtements femmes" et 50 dans celle "vêtements hommes".

Aussi, après une adoption par l'Assemblée nationale il y a de cela un an, le Sénat a approuvé à l'unanimité — chose assez rare pour être soulignée — le 10 juin une proposition de loi déposée par la députée Horizons Anne-Cécile Violland et soutenue par le Gouvernement visant à réduire l'impact environnemental de l'industrie textile. Les différentes mesures prévoient notamment l'interdiction de la publicité par les influenceurs, le renforcement de l'information des consommateurs, l'instauration d'une taxe sur les petits colis livrés par des entreprises établies hors de l'Union européenne et des pénalités pour les entreprises polluantes.

Loi anti-fast fashion : impact environnemental, taxes et plus de pub

La proposition de loi met en place différents outils et mesures visant à réguler un secteur en pleine dérive. Ainsi, les acteurs concernés devront s'acquitter d'une "éco-contribution" à cause de leur empreinte carbone, avec un malus mis en place progressivement et qui atteindra 10 euros par article d'ici 2030. Elle permettra de financer en partie les installations de collecte et de recyclage situées en France.

Autre mesure qui a fait couler beaucoup d'encre : l'interdiction totale de publicité par les influenceurs, qui sont aujourd'hui l'un des principaux relais de marques comme Shein ou Temu, notamment via les vidéos de "haul" — un format dans lequel ils déballent leurs derniers achats, souvent en matière de mode ou de beauté, qu'ils ont effectués en boutique ou sur un site de e-commerce. Une sorte de prolongation de la loi influenceurs en somme. Et autant dire que certains vont devoir revoir leur modèle économique !

La proposition de loi prévoit également la suppression de l'abattement d'impôt de 60 % actuellement applicable aux dons des invendus aux associations, qui permet aux enseignes de se débarrasser de vêtements irréparables — des déchets en somme — tout en bénéficiant pour cela d'une déduction fiscale. Elles devront également afficher un message d'information quant à l'impact environnemental de l'achat pour les consommateurs dans toute communication commerciale — un peu comme le "mangez cinq fruits et légumes par jour". 

Enfin, le Sénat prévoit l'instauration d'une taxe sur les petits colis livrés par des entreprises établies hors de l'Union européenne comprise entre deux et quatre euros. Une façon subtile de viser deux autres géants asiatiques du commerce en ligne, à savoir Temu et AliExpress, qui vendent également de nombreux vêtements d'ultra fast fashion. Mais cette mesure pourrait être supprimée par la suite, car elle fait actuellement l'objet d'un projet de loi européen, qui devrait prendre effet en 2028 (voir notre article). 

Typiquement le genre de vidéos qui seront interdites © CCM

Loi anti-Shein : un texte trop restrictif soumis au lobbying

Globalement, les politiques sont très satisfaits de cette décision. "Ce texte a deux ambitions : protéger notre environnement et protéger notre commerce", a salué devant les sénateurs Véronique Louwagie, ministre de la Consommation. Même son de cloche du côté d'Agnès Pannier-Runacher, ministre de la Transition écologique, qui se dit satisfaite d'une loi "aussi ambitieuse qu'on pouvait l'espérer" pour faire face à une "invasion" de vêtements à faible prix.

Toutefois, certains acteurs et personnalités politiques déplorent la profonde transformation du texte par rapport à la version originale de 2024, qui s'attaquait à toute l'industrie textile — et notamment aux acteurs français et européens qui fabriquent massivement en Asie comme Decathlon, Kiabi, H&M, Primark ou encore Zara. La version du Sénat, elle, cible uniquement les plateformes chinoises, comme Shein et Temu. Plusieurs associations environnementales déplorent le fait que le texte "manque son coup" en épargnant "les marques de fast-fashion "traditionnelles". Le résultat d'un lobbying efficace, comme le documentent nos confrères de Reporterre.

En effet, la proposition de loi a été retardée à plusieurs reprises. "Il a fallu attendre un an pour pouvoir l'examiner en commission sénatoriale, et on a dû forcer les choses pour qu'il soit ensuite mis à l'ordre du jour", rappelle le sénateur écologiste Jacques Fernique. Et si le lobbying de Shein a été très visible et mal reçu, celui des entreprises françaises et européennes a été plus efficace. Elles ont notamment invoqué le fait qu'elles paient des impôts en France, créent de l'emploi et que leurs produits respectent les normes de qualité et de durabilité, tout en invitant à ne pas pénaliser les classes populaires et à ne pas mettre tout le monde dans le même panier.

Autant dire que cela a porté ses fruits ! "Nous avons tracé une ligne nette entre ceux que nous voulons réguler, l'ultra mode express (...) et ceux que nous voulons préserver: la mode accessible mais enracinée, qui emploie en France, qui structure nos territoires, qui crée du lien et soutient un tissu économique local", a expliqué la sénatrice Les Républicains Sylvie Valente Le Hir, rapporteure sur le texte. "Je ne souhaite pas faire payer un euro aux entreprises qui disposent d'enseignes en France et qui contribuent ainsi à la vitalité économique de nos territoires".

Loi contre l'ultra fast fashion : Shein part en campagne

Bien entendu, le projet de loi ne peut pas viser explicitement les plateformes chinoises en l'écrivant noir sur blanc, mais cela va être fait de façon détournée. Elle s'appuiera donc sur des critères fixés par décret, tels que la largeur de la gamme de vêtements proposée aux clients ou la faible incitation à réparer, de façon à classer ou non une entreprise comme faisant partie de l'ultra fast-fashion. Après, cela reste quand même un pas important, d'autant plus que le Sénat a réintroduit l'interdiction de la publicité sur les réseaux sociaux, qui avait été supprimée en commission. C'est un début qui permet de faire bouger les lignes !

Bien évidemment, Shein n'a pas manqué de réagir ! "On se retrouve finalement avec une loi anti-Shein, et anti-clients de Shein. Cette loi, si elle vient à passer, pénalisera directement le portefeuille de nos clients et réduira drastiquement leur pouvoir d'achat", a regretté Quentin Ruffat, le porte-parole de l'entreprise en France. Celle-ci "risque de faire peser la responsabilité de la durabilité sur les consommateurs, déjà confrontés à des pressions économiques, en réduisant davantage leur pouvoir d'achat". L'entreprise n'a d'ailleurs pas tardé à lancer une riposte, avec des affiches "La mode est un droit, pas un privilège" l'organisation de rassemblements de consommateurs, comme à Saint-Denis ou à Béziers dimanche dernier. 

Maintenant que le texte a été adopté par le Sénat, la commission mixte paritaire, réunissant sénateurs et députés, va devoir s'accorder sur une version commune à la rentrée, en ajustant peut-être certaines dispositions, avant une adoption finale d'ici la fin d'année.